E-vulgarisation, un outil innovant d’apprentissage en milieu rural
Depuis plus d’une décennie, avec un taux de couverture en augmentation dans les zones reculées, le digital pénètre le secteur agricole. Désormais considéré comme incontournable pour la recherche agricole, le digital s’est installé en Afrique, notamment chez les jeunes : en 2019, une étude (SPORE n° 194) montrait que la jeunesse représentait 65 % des utilisateurs de solutions digitales du continent.
Au Burkina Faso, 80 % de la population tire ses revenus de l’agriculture mais reste majoritairement analphabète (moins de 30 % des plus de 15 ans alphabétisés d’après les données du recensement général de 2019). Il faut donc adapter les techniques et les supports d’apprentissage, notamment en milieu rural, où les langues locales dominent. Alors comment mieux former les exploitants agricoles dans ces régions ? Quels supports développer et comment toucher davantage de bénéficiaires ?
Une révolution numerique indispensable ?
Les solutions digitales dans le domaine agricole se multiplient et cherchent à répondre aux contraintes multiformes rencontrées par les paysanneries, notamment africaines.
Témoignage au Burkina Faso, où l’ONG belge Trias a fait le pari du numérique dans ses actions de formations.
L’ONG Trias a développé et diversifié des supports digitaux de FAR comme alternative au papier et pour rendre les dynamiques d’apprentissage plus participatives, inclusives et accessibles. Ces outils sont destinés aux facilitateurs endogènes des organisations d’exploitants familiaux, appuyés par les conseillers en renforcement organisationnel de Trias (souvent des jeunes ouverts à l’apprentissage et au transfert de compétences entre pairs au sein des coopératives).
Ces supports digitaux sont la transcription des modules de formation (sur l’éducation financière, sur les itinéraires techniques de production agricole sensible au climat, sur les technologies durables de production agricole et de transformation) habituellement donnés en salle pendant plusieurs jours. Développés sous formats de capsules vidéo courtes en langues locales, ils sont utilisables hors ligne. L’ONG a fait appel à des prestataires professionnels pour développer le fil conducteur du script, le contenu des capsules vidéo et s’assurer de la qualité des supports mis à disposition, avec l’appui des conseillers en renforcement organisationnel. L’expertise locale a été mobilisée pour traduire les contenus et s’assurer de l’exactitude des termes utilisés (en mooré, dioula, bissa et fulfudé).
Ce dispositif a été conduit dans les villages sous forme de soirée cinéma, une séance de projection pouvant rassembler jusqu’à 150 agriculteurs.
Faciliter l’accès et l’inclusivité au formation et conseil agricole
Le dispositif dans son ensemble rapproche le formateur du producteur, que ce soit les supports digitaux ou les projections qui regroupent les agriculteurs dans leur périmètre agricole. Il offre un cadre d’apprentissage sécurisé, les agriculteurs n’étant pas obligés de parcourir de longues distances pour se former. Il favorise l’appropriation et la mise en pratique : les séances de projection sont suivies d’échanges animés par les conseillers de Trias et par les facilitateurs endogènes les supports sont diffusés auprès des participants au moyen de kits digitaux solaires et de téléphones androïdes. Enfin, la numérisation de la formation rurale permet d’en réduire les coûts en supprimant certaines charges comme la location des salles, les frais de déplacement et de prise en charge des participants.
En matière d’inclusivité, les femmes vont plus facilement participer aux sessions du fait de la proximité, de l’utilisation des langues qu’elles maîtrisent, de la souplesse des créneaux proposés. Les séances de formation peuvent être programmées aux heures qui leur conviennent et tenir compte de leur charge de travail. Aussi, la e-vulgarisation suscite la curiosité et comporte un aspect ludique qui suscite l’intérêt des publics. À titre d’exemple, de 2019 à 2021, l’utilisation des kits digitaux a permis à Trias de toucher près de 50 000 producteurs de riz sur la vulgarisation de technologies comme le placement profond de l’urée et le système de riziculture intensif, et 1132 producteurs et transformateurs de sésame.
Au vu des effets positifs, l’intérêt envers la démarche de formation digitale a vite grandi au sein des coopératives de producteurs de riz, de soja et de sésame, tout comme la demande en kits digitaux solaires de la part des facilitateurs ruraux. Mais le coût très élevé du kit (1 550 dollars, composé d’un projecteur, d’une plaque solaire, d’un mini-parleur, d’un clavier, d’un power Bank, d’un trépied et d’un core de rangement) a été un véritable obstacle à son acquisition plus large.
L’intervention de Trias étant dans sa phase de clôture, des concertations sont organisées avec les coopératives afin qu’elles reprennent la main pour soutenir la poursuite de ces formations rurales par la contribution des membres à la prise en charge du déplacement des formateurs endogènes. Mais pour de multiples raisons, très peu sont les paysans prêts à contribuer financièrement pour accéder aux connaissances pratiques qui leur permettent pourtant d’avoir de meilleurs résultats.
Par ailleurs, bien que les facilitateurs endogènes aient été orientés à l’utilisation des plateformes en ligne pour accéder à de riches contenus vidéo, la contrainte relative à la qualité et au coût de l’internet demeure.
Formés à la mise en place des champs écoles paysans (CEP), – des espaces d’apprentissage mutuel des bonnes pratiques agricoles – et après avoir animé des séances d’information sur les itinéraires techniques de production, les facilitateurs endogènes encadrent sur des sites de démonstration les paysans disposés à approfondir et à s’approprier une technologie spécifique.
Ensemble avec les membres de la coopérative, le facilitateur endogène explique de bout en bout les itinéraires techniques de production agricole durable. Il fait le suivi rapproché de la mise en pratique par les agriculteurs individuels des technologies apprises dans les CEP.
Cet accompagnement ciblé a permis à de nombreux agriculteurs de booster leur production : les rendements du sésame et du soja obtenus au niveau des champs des producteurs ont été supérieurs aux rendements moyens (dans la région du Centre-Est, des rendements de 1 427 kg/ha contre 558 kg/ha pour le soja et de 849 kg/ ha contre 483 kg/ha pour le sésame).
En raison du potentiel important que joue aujourd’hui le digital dans le développement des chaînes de valeur agricoles en milieu rural (présent de la fourche à la fourchette) les gouvernements africains devraient être plus attentifs à l’investissement dans les infrastructures numériques pour réduire les disparités de la qualité et de l’accessibilité. Aussi, le développement des solutions digitales agricoles devrait être davantage sensible dans leur contenu aux effets du changement climatique sur l’agriculture familiale, mais aussi dans leurs formes et leur conception aux contextes spécifiques des territoires, pour adapter ces contenus et les outils aux besoins locaux, au pouvoir d’achat et au faible niveau d’alphabétisation des populations rurales.
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